Les essences de bois de la caisse de résonance
Pour la fabrication de nos luths, nous utilisons exclusivement du bois de résonance de toute première qualité. Grâce à un procédé de séchage minutieux pendant au moins 10 ans, nous pouvons garantir que le bois n’aura pas de fissures et ne se déformera pas ultérieurement, à condition que l’instrument soit conservé de manière appropriée. Nous accordons une très grande importance à la coupe du bois. Ceci nous permet d’obtenir, pour chaque instrument, un rapport optimal entre masse et solidité – condition primordiale pour qu’un instrument possède toutes les propriétés statiques et acoustiques nécessaires.
Dans le choix des bois, nous nous penchons avant tout sur leurs caractéristiques acoustiques. Un procédé de mesure spécial permet de déterminer divers paramètres physiques qui, à notre avis, sont déterminants pour l’assemblage optimal du bois de la caisse et de la table.
Les surfaces de nos instruments sont recouvertes d’une fine couche de vernis gomme-laque. Celui-ci protège suffisamment le bois sans que l’instrument perde en capacités de vibration par une couche trop épaisse de vernis. Pour les caisses en érable et en if, nous utilisons un verni doré qui met particulièrement bien en valeur la beauté naturelle de ces bois.
Les essences employées pour la coque du Liuto forte sont le palissandre, l’érable ou l’if. Elles produisent des effets différents sur les timbres du son, que l’on peut caractériser à peu près ainsi : le palissandre produit un son « masculin », l’érable un son « neutre » et l’if un son « féminin ».
Pour les personnes qui aiment produire sur leurs instruments des contrastes prononcés, tout en souhaitant un maximum de pression sonore, le palissandre se révèle le plus approprié. Une coque de cette essence est idéale pour une exécution dans de grandes salles.
Le son de la coque en if possède un charme très particulier et incomparable. Ce bois donne le son « le plus chaud » et convient dès lors tout particulièrement aux interprètes amateurs d’une conception romantique du son.
L’érable est un bois « universel » qui possède une part de chacune des qualités décrites sans qu’aucune d’entre elles ne domine. Celui qui joue principalement en ensemble se verra sans doute bien avisé d’utiliser un instrument en érable, au son clair et frais.
Le choix d’une essence de bois particulière relève en dernière instance d’une décision personnelle, dans laquelle les préférences et la façon de jouer jouent un rôle significatif. Cette décision peut être facilitée par des essais sur chaque instrument.
Effet du nombre de côtes sur le son
La caisse de résonance du luth est toujours constituée d’un nombre impair de côtes qui peut varier de 9 à 65. Nous travaillons essentiellement avec des caisses de 11 à 19 côtes.
Selon nos observations, la différence sonore entre un instrument à 11 côtes et un instrument à 19 côtes est – contrairement à l’opinion autrefois admise – que l’augmentation du nombre de côtes matifie le son propre de la caisse de l’instrument qui devient par conséquent plus doux. Ceci provoque alors une meilleure vibration de l’air à l’intérieur de l’instrument, ce qui est particulièrement avantageux pour les fréquences graves. La coque du Tiorba forte comprend pour ce motif 19 au lieu de 11 côtes.
La fréquence particulièrement grande d’un nombre important de côtes dans les instruments de basse continue tels que le théorbe semble, d’après cette observation, n’être pas uniquement motivée par des raisons décoratives ou des contraintes dues à la largeur limitée du matériau brut utilisé pour les côtes en if. Toutefois ceci pourrait parfaitement avoir donné lieu à la découverte de cet effet acoustique secondaire utile aux instruments de basse continue.
Les formes de corps
Dans la facture historique du luth, on rencontre deux formes tout à fait différentes de corps, formes que nous avons adoptées pour la construction de nos instruments. Elles se distinguent principalement par la relation existant entre la profondeur et la largeur du corps du luth. Des relations différentes entre ces deux paramètres peuvent aussi conduire à des effets sonores très différents que, vers 1600 déjà, Alessandro Piccinini qualifiait de « mélodiques » ou d’ « harmoniques ».
Par conséquent, les instruments au corps étroit et profond sonneront de manière plus douce et chantante. Ceux au corps large et aplati seront plus brillants et plus puissants, ce qui les rend plus aptes à l’harmonie et à jouer leur rôle dans un ensemble. Ces deux options ont leur attrait particulier.
On rencontre ces mêmes effets sonores extrêmement différents dus à une construction particulière dans les violons (Amati – Stradivari), les clavecins (français et italiens) et les pianos à queue modernes (Blüthner – Steinway). Les musiciens des siècles passés ne considéraient nullement l’existence de ces deux idéaux sonores comme invitation à un choix définitif, mais s’efforçaient de participer à ces deux univers. Ainsi les musiciens professionnels jouant sur des instruments à cordes au XVIIIe siècle possédaient-ils souvent un modèle du type Amati, étroit et à forte voussure pour la musique de chambre, et un instrument puissant de facture large et plate pour les effectifs importants.
Pour les différents modèles du Liuto forte, nous avons par conséquent chaque fois choisi la forme de corps qui convient le mieux au répertoire et à l’esthétique du modèle en question.
Les différentes formes des chevilliers
A l’issue des concerts de luth, on nous demande souvent pourquoi le chevillier de l’instrument est coudé. La réponse est toujours la même : on n’en sait rien.
Mais nous sommes un peu mieux informés en ce qui concerne les conséquences sonores de la théorbure (prolongement des basses) sur la manière de vibrer de tout l’instrument.
Lorsque Piccinini, vers 1600, avait inventé de prolonger les cordes graves de « son arciliuto », son seul et unique but était alors de rendre le registre grave de l’instrument plus plein et « plus proche de l’orgue ». La découverte qu’un chevillier droit avec des cordes de basse de plus grande longueur et de forte tension permettait aussi d’influer positivement sur les registres aigus et moyens d’un instrument fut probablement un avatar inattendu de cette invention.
La forme classique de prolongement droit du manche (ill. 1), que l’on trouve dans les arciliuti et théorbes italiens, est d’une grande élégance et remplit parfaitement son rôle sonore dans ces instruments.
Stimulés par cette nouveauté, on mit au point au cours du XVIIe siècle d’autres formes de prolongement des cordes de basse, qui furent principalement utilisées pour le luth baroque français accordé en ré mineur à 11 chœurs avec chevillier renversé. Chronologiquement, il s’agit des types de constructions suivantes :
Un prolongement accolé latéralement au chevillier renversé pour quatre chœurs de basse supplémentaires de longueur différente inventé par Jacques Gautier (né vers 1600), luthiste français vivant en Angleterre (ill. 2).
Un cavalier de basse pour deux chœurs supplémentaires attribué au luthiste bohémien Jan Antonin Losy (vers 1645-1721).
Un manche col de cygne construit vraisemblablement d’après une idée de Jean Sébastien Bach vers 1728 par Sylvius Leopold Weiß pour son luth en ré mineur à treize chœurs, construction du manche reprise de l’angélique à deux chevilliers droits (ill. 3).
Cette dernière construction, dans laquelle généralement huit chœurs sont placés sur la touche et cinq bourdons sur le second chevillier ou 3 bourdons sur le second et deux sur un troisième chevillier prolongé, représentait l’apogée provisoire du développement du luth européen.
Les chevilles classiques et mécaniques
Les cordes du Liuto forte, comme les cordes du luth ancien, sont accordées au moyen de chevilles. Celles-ci représentent peut-être la partie de l’instrument à laquelle les guitaristes devront le plus s’adapter. Les chevilles transmettent le mouvement de rotation dans un rapport de 1 à 1 tandis qu’il est de 1 à 16 pour les mécaniques d’une guitare. Des considérations esthétiques ne justifient pas seules la conservation des chevilles. Une mécanique telle que celle de la guitare rendrait la tête de ces instruments à cordes multiples trop lourde.
Au contraire des chevilles des luths anciens, souvent très minces, proches les unes des autres, souvent mal ajustées et qui constituent de véritables « casse-doigt », les chevilles du Liuto forte ont une forme et une taille confortables, sont parfaitement réglées et peuvent s’utiliser aussi aisément que celles des instruments à cordes frottées, à condition d’être régulièrement entretenues. L’expérience de ces dernières années nous a permis de constater que, grâce à ses cordes plus fines, le Liuto forte garde mieux son accord que la guitare d’aujourd’hui.
En 2015, la firme Wittner a mis au point un nouveau modèle de cheville mécanique. Cette cheville ne se distingue pas des chevilles classiques sur le plan optique, mais possède à l’intérieur un mécanisme qui permet un accordage fin comme à la guitare, et empêche que la cheville ressorte lorsqu’on l’accorde. Sur demande, tous nos modèles de Liuto forte peuvent être équipés de ces chevilles mécaniques spécialement adaptées aux nécessités de nos instruments, moyennant un petit supplément.
Les rosaces
La plupart des modèles de rosaces en vogue jusqu’au XVIIIe siècle et encore réutilisés dans la lutherie d’aujourd’hui sont inspirés de modèles du XVIe siècle. Ils peuvent contenir des formes abstraites, géométriques, des éléments floraux, des symboles ou des motifs héraldiques, et évoquent le plus souvent un passé irrémédiablement révolu.
Pour notre part, nous avions donc, il y a quelques années déjà, décidé de développer un modèle de rosette intemporel, adapté au concept du Liuto forte, et nous avions même lancé un concours qui récompenserait les propositions les plus réussies. Curieusement, même les artistes et designers que nous avons abordés directement capitulèrent devant la difficulté de la tâche.
Ce sont finalement les branches d’un arbre qui poussait devant la fenêtre de l’atelier de notre luthier Günter Mark qui, au cours d’un hiver, lui inspirèrent un modèle intemporel. Le dessin qu’il a conçu à partir de cette vision comporte certes des éléments abstraits, mais il évoque aussi des liens très forts avec la nature. C’est comme si l’essence même du bois s’y révélait dans toute sa splendeur – avec ses entrelacs souterrains, son aspiration à s’élever et ses enchevêtrements de branches toujours plus fines jusqu’au ramifications délicates des feuilles.
Grâce à la belle sensibilité de son approche, Günter Mark est ainsi venu enrichir l’immense univers des rosaces de luth d’un modèle ornemental parfait et d’une grande beauté.
Les ornements
Impressionnés par les ornements que l’on voit fréquemment sur les manches et les chevilliers des luths historiques, certains clients nous demandent parfois si l’on ne pourrait également décorer leur Liuto forte de cette manière. Nous renonçons tout à fait sciemment à ce genre d’ornements car nous nous concentrons, en ce qui concerne l’aspect extérieur de nos instruments, davantage sur l’équilibre de leur forme.
Dans la conception des Liuti forti, notre principale préoccupation est le travail sur le son. Leur beauté se révèle avant tout – à l’exception des bandes décoratives ornant le manche de l’Arciliuto et du Tiorba forte – dans la noblesse de leurs proportions et de leurs silhouettes, qui donne une impression de parfaite « harmonie intérieure ». Les Liuti forti sont construits selon les canons de proportions de la Renaissance et du Baroque. Leur beauté et leur élégance intemporelles découlent du respect de règles géométriques universelles.
Nouvelles variantes d’accord pour Liuto forte en sol, en mi et en ré mineur
Dans le cadre du renouvellement de l’ensemble de la famille des luths par Liuto forte, il semblait également logique de soumettre les accords traditionnels à un examen critique.
Il s’avéra alors que par de légères modifications ne nécessitant pas de longues réflexions, on pouvait obtenir des améliorations techniques et sonores essentielles. Celles-ci peuvent considérablement soulager l’instrumentiste pratiquant aussi bien le luth Renaissance que la guitare ou le luth en ré mineur.
Avec le Liuto forte, l’instrumentiste a le choix de conserver les accords traditionnels du luth, ou bien d’utiliser certains de ceux mentionnés ici, de tester des variantes d’accord plus précises, qui apportent non seulement des simplifications techniques, mais aussi un élargissement des possibilités musicales, telles qu’on en trouve p. ex. dans les compositions pour luth de J.S. Bach.
Disons-le d’avance : il n’existe pas d’accord « idéal ». Les accords sont toujours une manière d’approcher la musique, chacun d’entre eux ayant ses avantages et ses inconvénients.
L’accord par quartes le plus courant du luth Renaissance jusque vers 1620 environ (et de la guitare actuelle) rencontra dès le début du XVIIe siècle un nombre croissant de critiques. Quiconque est familier des œuvres de John Dowland, par exemple, sait parfaitement ce que veut dire Thomas Mace (vers 1613-1709) lorsqu’il parle des « positions inconfortables » que l’on rencontre si souvent avec cet accord.
Entre 1600 et 1650 un grand nombre de variations d’accord furent essayés, parmi lesquels l’accord en ré mineur (la1) – ré2 – fa2 – la2 – ré3 – fa3 s’est affirmé finalement comme une sorte de nouvel accord standard au nord, à l’est et à l’ouest des Alpes. Cet accord en ré mineur entraîna déjà une énorme décontraction de la main gauche et ouvrit des possibilités musicales insoupçonnées. Il se rapproche de l’accord idéal.
Un défaut qu’il partage avec l’ancien accord par quartes du luth Renaissance ainsi que de la guitare actuelle, est la quarte entre le 5e et le 6e chœur. Techniquement, un tel intervalle à cet endroit est un non-sens. Aussi longtemps que le petit doigt de la main gauche sera plus court que les autres doigts, les intervalles à partir de la 5e corde devraient être plus réduits.
Les guitaristes qui souhaitent mieux comprendre la question n’ont qu’à jeter un coup d’œil à la mesure 6 de l’Étude numéro 1 de Heitor Villa-Lobos et imaginer à quoi ressemblerait cette position si leur instrument disposait d’une 7e corde supplémentaire en fa, sur laquelle on pourrait alors jouer le sol dièse à la troisième frette. La corde en fa ajoutée en septième position, qui en fonction de la tonalité peut aussi être accordée en fa dièse ou en sol, simplifierait grandement le jeu de la guitare et du luth Renaissance et contribuerait à un net gain de sonorité.
Dans le cas de l’accord en ré mineur du luth baroque français, il faudrait, au lieu de l’intervalle de quarte entre la cinquième et la sixième corde en la, introduire un chœur accordé en si bémol, qui, selon la tonalité, puisse aussi être accordé en si bécarre, suivi alors d’un septième chœur en la. On doit cette prise de conscience à nul autre qu’à J.S. Bach qui a clairement démontré les avantages d’un tel accord dans plusieurs compositions pour luth qu’on ne pouvait exécuter jusque-là qu’imparfaitement
(cf. www.Bach-Lautenwerke.de).
« Accord Bellocq » (Accord par tierces)
Encouragé par mes recherches sur l’accord du luth chez J.S. Bach, qui ne comporte plus qu’une quarte entre le deuxième et le troisième chœur, le luthiste français Eric Bellocq a en 2008 mis au point sur son Liuto forte un accord tout à fait original, exclusivement constitué de tierces majeures et mineures. Les six cordes supérieures sont alors accordées de la manière suivante : ut2 –mi2b – sol2 – si2b – ré3 – fa3. Son instrument dispose en outre d’une série complète de basses accordées de manière diatonique. Cet accord ouvre, dans le domaine de la formation des accords, des possibilités nouvelles et séduisantes. Mieux encore : sur cet instrument, le jeu sur la partition (au lieu de la tablature) se trouve facilité par la concordance exacte des notes des cinq premières cordes avec les portées de la clé de sol octaviée.
Johann Jakob Froberger : Suite en ré mineur FWV602
Éric Bellocq, luthiste
Liuto forte, nouvel accord par tierces, 14 cordes
Avec l’aimable autorisation de Carpe Diem Records (16280) shop.carpediem-records.de
Les personnes qui désireraient en savoir plus à ce sujet peuvent s’adresser (en français ou en anglais) directement à Eric Bellocq (www.bellocq.info).
Le « truc de Paganini » à l’usage des guitaristes
Les guitaristes jouant avec orchestre se trouvent confrontés à d’importants problèmes pour que leur partie ressorte bien. Ces problèmes ne sont pas seulement imputables au timbre plutôt sombre de leur instrument, mais aussi à son registre grave. Les possibilités sont particulièrement réduites lorsque l’on joue dans des tonalités qui permettent non seulement à l’instrument à cordes pincées, mais aussi aux instruments à archet, l’utilisation fréquente des cordes à vide, particulièrement résonantes. Un exemple célèbre nous est fourni par le Concerto en ré, dit d’Aranjuez de Joaquin Rodrigo qui, en dépit de sa popularité, n’est pas forcément instrumenté de manière favorable, eu égard à la rencontre de l’ensemble avec le soliste.
Les guitaristes ne doivent pas penser que l’utilisation permanente de la sourdine augmente le plaisir d’un instrumentiste à archet à jouer au sein d’un ensemble. Néanmoins il semble nécessaire de retenir quelque peu leur bras afin d’obtenir un équilibre satisfaisant avec la guitare.
Le « truc de Paganini » offrirait ici une solution naturelle : afin de donner plus de brillant à la partie soliste de son Concerto pour violon en ré majeur, le légendaire virtuose eut l’idée d’accorder son instrument un demi-ton plus haut, sans pour autant changer les doigtés de ré majeur. L’orchestre, tout en restant accordé au diapason normal, se voyait par conséquent obligé d’accompagner le soliste en mi bémol, permettant ainsi à la sonorité de son Guarneri – que lui-même se plaisait à appeler son « canon » – de se détacher sur le fond orchestral plus brillamment encore.
Les guitaristes pourraient, eux aussi, bénéficier d’une telle « sourdine naturelle » des cordes et des vents, en faisant appel à un nombre suffisant de bémols et de dièses, dans la mesure où ils se décideraient à jouer leur musique de chambre sur un instrument accordé un demi-ton plus haut et à convaincre les musiciens jouant des instruments les plus puissants de la nécessité de transposer leur partie. L’accord plus élevé de la guitare, utilisant des cordes plus fines, donnerait au soliste une meilleure possibilité de s’imposer dans de vastes salles.
Une autre solution consisterait à garder la tonalité originale de la partie de guitare et, utilisant le même principe, jouer avec l’ensemble accordé au diapason de 415 Hz.